Depuis l'émergence de l'islam politique dans les sociétés musulmanes
des années 1980, médias et experts occidentaux ont multiplié discours et
analyses sur les relations entre islam et politique, sans éviter trop souvent
les pièges de l'essentialisme, voire de la simple islamophobie. Mais les
nombreux penseurs du monde musulman qui ont abordé ces questions
restent largement méconnus, en particulier ceux qui s'expriment en
arabe.
D'où l'intérêt majeur de cette traduction du troisième volume de l'oeuvre
célèbre du philosophe marocain Mohammed Abed Al-Jabri, Critique de la
raison arabe : cet ouvrage propose une analyse critique, de l'intérieur,
du patrimoine politique islamique, qui éclaire d'un jour nouveau les
manifestations de l'islam politique moderne - fondamentalisme, extrémisme
religieux, etc. Pour en comprendre les ressorts profonds, Al-Jabri identifie
les trois facteurs clés qui ont déterminé la nature de la «raison» politique
en islam dans le monde arabe : la tribu, le butin et le dogme. C'est au moyen
de ces trois éléments qu'il analyse - en s'appuyant sur de nombreux textes
historiques - les manifestations de cette raison : l'idéologie fataliste des
Omeyyades, la mythologie de l'imâmat, le mouvement éclairé, l'idéologie
sultanienne.
Al-Jabri montre ainsi que l'islam est, certes, une religion et un mode de
vie, mais qu'il n'a jamais statué sur le régime de l'État. Ce qui lui permet
d'ouvrir les pistes d'un renouveau démocratique de la raison politique en
islam, invitant les musulmans à adopter la consultation en tant que principe
directeur pour une organisation démocratique et rationnelle de la société,
bâtie sur la libre pensée, le droit à la différence et la mise en oeuvre de la
raison critique.