Cette thèse d'inspiration sociologique aborde un aspect encore ignoré dans la
production de Rodin : la réception critique de ses monuments publics érigés, ou destinés
à être érigés à Paris et en province. En partant des principaux acquis de la recherche sur
Rodin, de Leo Steinberg à Antoinette Le Normand-Romain, en passant par Rosalind
Krauss, Ruth Butler et Albert Elsen, ce travail a pour ambition d'observer, à travers les
discours et les positions qu'ont suscités ces oeuvres, la situation des critiques d'art dans
les champs confondus de la littérature et de la critique, à l'aide d'outils conceptuels
empruntés à Jean Starobinski, Pierre Bourdieu ou Nathalie Heinich, et des travaux
d'histoire culturelle de Maurice Agulhon, Christophe Charle ou Neil MacWilliam.
L'éclairage sociologique tente ainsi de faire la lumière sur les stratégies mises en
place autour de ce qu'il est convenu d'appeler le «mystère Rodin». Dans bien des
cas en effet, ses monuments, reçus dans la confusion de l'atelier alors même qu'ils
n'étaient pas terminés, devinrent des énigmes pour ses commanditaires. En posant
cette opacité fondatrice, il s'agit donc d'identifier les phénomènes de croyances et les
stratégies de distinction qui en sont issus grâce aux outils opératoires de la sociologie.
Le lecteur pourra notamment suivre la construction, sur fond d'ignorance plastique,
du cliché de l'artiste démiurge aux pouvoirs «quasi magiques», prendre la mesure
des différences structurelles entre la critique de province et la critique parisienne, et
plus globalement appréhender les enjeux, les intérêts et le capital que les défenseurs,
comme les détracteurs, souhaitaient retirer de ces monuments devenus sphinx. Au
milieu de l'agitation que suscita ce mystère, le lecteur pourra également entrevoir un
Rodin plus calme et pragmatique - maîtrisant à la fois l'économie de son entreprise
et son image publique -, et l'émergence d'un «public moyen» qui, peu à peu séduit
par la persévérance et la sincérité de sa démarche, se retournera contre ces critiques
initiés qui refusaient de lui livrer le secret du sculpteur.