Pour la leçon de lecture, ce jour-là, ma grand-mère
avait choisi, dans une version à l'usage de la jeunesse, le
passage du Don Quichotte où se déroule la bataille contre
les moulins.
Elle me demanda si je savais dans quelle langue avait
été écrite cette histoire. J'hésitais, elle me souffla la
réponse, l'espagnol.
Sa question en préparait une autre. Et dans quelle
langue venais-je de la lire, cette histoire ? En français,
pardi. Ainsi, petit sorcier, reprit-elle, tu viens de lire en
français une histoire écrite en espagnol ?
Ma grand-mère, comme la fée Carabosse, était légèrement
bossue. Mais elle avait à mes yeux la beauté de la
reine des fées, et elle me faisait ainsi goûter le philtre
singulier de l'admiration et de la peur. Ce jour-là, elle
venait de me révéler un monde que je n'aurais pu nommer
encore mais qui serait désormais le mien.
Tout avait été déversé d'un coup par sa malicieuse
question : le livre, la lecture, le texte et sa traduction. Et
tout y était : la découverte, l'aventure, l'écriture et le
talent.