Lorsque les caprices de la mer et du vent font échouer son
navire sur une nouvelle terre, Ulysse se demande, à propos de
ses habitants : «Sont-ils des insolents, des hommes sauvages
et sans justice, ou des gens hospitaliers, dont l'esprit craint les
dieux ?» Cette question, qui rappelle que l'interrogation
fondamentale de l'homme grec archaïque sur sa propre identité
s'articule autour de l'opposition de la sauvagerie et de la
civilisation, peut apparaître comme le point de départ de cette
enquête, et le modèle de son cheminement. À l'instar du
héros odysséen, on s'est efforcé de cerner dans ces pages, à
partir de l'étude du lexique, les réalités que les poètes,
d'Homère à Eschyle, ont désignées comme «sauvages», et
les critères - moraux, sociaux, religieux - qui fondent, chez
eux, la définition de la sauvagerie. Des guerriers-fauves de
l'Iliade aux héros de l'Orestie, c'est le modèle de la sauvagerie
animale qui s'impose, tout au long de ce corpus, comme
support imaginaire de la notion, pour traduire et, le plus souvent,
dénoncer la part de sauvagerie qui gîte irréductiblement
au coeur de l'homme, menaçant les frontières souvent bien
fragiles qui séparent bêtes, hommes et dieux.