La seconde nature du politique
Essai d'anthropologie négative
Que s'est-il passé au XXe siècle pour que les sciences humaines, qui semblaient devoir oeuvrer à l'émancipation des masses, en soient venues à figurer en bonne place parmi les instruments de leur servitude ?
Que l'homme ne soit que coutume, que ses cultures lui tiennent lieu de nature, que ce registre oscille sans cesse entre l'ouverture et la fermeture, voilà ce que l'expression de seconde nature permet d'entrevoir. C'est dans cet espace que se joue l'émergence du politique comme rapport de forces et comme exigence de justice.
Le paradoxe contemporain consiste en ce que la reconnaissance de la dimension historique, c'est-à-dire l'indétermination fondamentale de l'humain, qui fonctionnait depuis deux siècles comme argument pour l'émancipation politique contre la pseudo-naturalité de l'ordre établi, est devenue le ressort de l'argumentaire néolibéral qui, se passant désormais de toute tentative de légitimation théologico-politique, entreprend d'investir sur le mode instrumental le champ de la mutabilité indéfinie des structures individuelles et collectives. À l'inverse, la résistance à cette formidable révolution marchande globalisatrice et démondialisante ne trouve plus à se dire que dans les termes d'une naturalité passéiste.
Pour dépasser ce repli, il faut reconquérir l'idée qu'il n'y a d'humain qu'institué : il ne s'agit pas de trouver et de protéger une définition de la nature humaine donnée pour toujours, mais, au contraire, en admettant qu'il n'est de nature que seconde, de proposer de nouvelles institutionnalisations prioritairement orientées vers la recherche de nouvelles conditions de possibilité de l'existence collective, au lieu de céder aux conditions d'impossibilités qui nous sont faites.