Merveilleux instrument de progrès social ou monstre bureaucratique, salutaire facteur de lutte contre les risques de la maladie, du chômage et de la vieillesse ou mécanique perverse anti-économique, la Sécurité sociale fut tout au long de son histoire l'objet de haines tenaces et de déclarations d'amour enflammées.
Ce livre se penche sur les arguments échangés à la naissance de cette institution qui prétendait à la fois supprimer la grande pauvreté, éradiquer l'ignorance, anéantir le besoin physique, améliorer le niveau de vie collectif, stabiliser les revenus au niveau de la société et faire progresser la démocratie sociale.
Dissocier les idéaux de la pratique, opposer les illusions chimériques à l'implacable logique des chiffres: tel fut, dès les premiers jours, le travail des opposants au système. "La Sécurité sociale fonce droit dans le mur", "les excès des prestations sociales grèvent la compétitivité de l'économie nationale", "le niveau des charges est arrivé à saturation", "il faut oser entreprendre des réformes de structure": autant de lieux communs qui n'ont, depuis lors, jamais quitté le débat en matière de Sécurité sociale, et qui ont, peu à peu, pris le pas sur l'enthousiasme initial.
Y eut-il, cependant, un véritable enthousiasme initial? Peut-on sérieusement parler de l'"âge d'or de la Sécurité sociale" en évoquant ses premiers mois?
C'est entre autres à ces questions que tente de répondre ce livre, qui analyse et confronte les réactions, lors des premiers mois du système, des principaux interlocuteurs sociaux (syndicats, patronat, mutualité, mouvements familiaux, corps médical, cadres, fonctionnaires): quels aspects de la Sécurité sociale privilégiaient-ils? S'encombraient-ils de principes à son évocation? Se voulaient-ils polémiques? Quelle était la nature de leurs divergences? Autant d'interrogations qui permettront d'envisager l'immédiat après-guerre français sous un angle spécifique et original, tant la Sécurité sociale, déjà avant la guerre froide, constituait un catalyseur fondamental.