Comment l'identité d'un peuple peut-elle se recomposer, en situation de
forte acculturation, en référence à un autre peuple ? Qu'en est-il lorsque cet
autre peuple est à la fois fort distant du premier dans le temps et dans
l'espace ? Le présent ouvrage s'interroge ainsi sur le lien imaginaire qui s'est
établi au XIXe siècle entre les Polynésiens de l'ensemble tahitien et le peuple
d'un Israël découvert par eux à travers le texte biblique.
À partir de là se développe le sentiment d'une communauté de culture,
d'histoire, qui s'exprime tantôt en termes d'origine, tantôt en termes de
ressemblance, par le biais de la métaphore. En fait, ce sentiment d'une
identité partagée entre anciens Hébreux et Polynésiens (de Tahiti, Hawaii,
Nouvelle-Zélande) fut d'abord l'objet de croyances occidentales, tant de la part
des missionnaires que des scientifiques diffusionnistes des XIXe et XXe siècles.
L'idée d'une filiation avec les Hébreux est du reste particulièrement élaborée
en milieu mormon. Du côté autochtone, la référence à Israël a pénétré les
modes de vie, les esprits, en dehors même des lieux de culte.
Dépassant la frontière entre anthropologie religieuse et politique, Bruno
Saura montre que c'est surtout dans les mouvements millénaristes et les
luttes contemporaines pour la décolonisation que la projection des
Polynésiens en Israël révèle sa puissance mobilisatrice, sa capacité à changer
l'avenir au nom d'une communauté revendiquée de destin avec un peuple
animé par l'idée de libération.