La Tête dans le sable
Être en danger dans son propre pays. Ça fait si longtemps que ce n'est pas arrivé aux Suisses que tu penses parfois que cette hypothèse a même disparu de leur inconscient, de leur mémoire collective ; être menacé chez soi, craindre ses voisins, sa police, ses autorités, ne plus savoir sur qui compter, et encore moins sur ses droits, pouvoir être frappé impunément... tout cela est banni du disque dur de ce peuple si préservé, si confiant dans la pérennité de ses institutions : ceux qui souffrent, ce sont toujours les autres, ceux qui vivent sous les palmiers, là où les rues sont poussiéreuses, les ordures peu ou pas ramassées, des gens qui se ressemblent, aux visages émaciés, aux yeux sombres, aux dents irrégulières. C'était comme ça ici, à peu de choses près, ici aussi, mais on a fait en sorte que ça n'arrive plus à coups de travail et de sérieux, tout est sous contrôle, et de plus en plus, on s'assure, on se réassure, on se casque, on s'équipe, dernier cri, on ne sent plus ni le chaud ni le froid, seul l'effort, mais voulu, sportif, noble, pour les week-ends seulement. Sous contrôle. Tu ne fais pas exception, tu sais que tu ne pourras jamais partager l'expérience intime des gens qui ont senti le sol se dérober sous leurs pas, ce sentiment d'exil à tout jamais gravé en eux... t'appartient-il malgré tout ? comme une blessure intime commune à tous, mais camouflée sous des décennies de confort et d'oubli, pourquoi est-elle si prompte à saigner chez toi ?
La Norvège touche 70 % des revenus de son pétrole. Le Zamanga, petit pays d'Afrique australe, ne perçoit que 5 % des bénéfices engendrés par l'extraction de son cuivre. Il y a quelque chose de pourri au royaume du commerce international... Carmen Berger, et l'ONG avec laquelle elle travaille, est une de celles qui voudraient le rappeler à la face du monde, mais peu sont prêts à écouter, et ceux qui tendent l'oreille ne sont pas toujours des amis.