Marx n'est ni un économiste de l'époque de la machine à vapeur, ni un scientiste dépassé à l'heure de la «complexité», mais bien un philosophe, et des plus grands. Affirmation paradoxale à propos d'un penseur dont on dit souvent qu'il a voulu mettre fin à la philosophie ? Nullement. Au-delà d'un marxisme que Marx avait recusé par avance. Denis Collin montre que son travail théorique s'appuie sur une tradition philosophique riche - et souvent méconnue ou sous-estimée - non pour construire une science nouvelle et inédite, mais pour procéder à la critique systématique des illusions objectivistes et scientistes. Marx n'est certes pas un des contempteurs modernes de la pensée scientifique ; il prend les sciences au sérieux, s'appuie au besoin sur leurs résultats, mais pour en montrer les limites irrémédiables. Analysant pas à pas le parcours de Marx, Denis Collin place au cœur de l'analyse marxienne la question des rapports entre la subjectivité individuelle et la constitution d'un savoir qui pense les affaires humaines comme un processus objectif. Le problème de la connaissance réside dans ce rapport entre le vie subjective des individus et l'objectivité des descriptions scientifiques ou idéologiques.
Le problème de l'aliénation, de la transformation de la puissance subjective du travailleur en puissance objective du capital, retrouve ainsi toute sa place, non dans quelques textes de jeunesse, mais dans la grande œuvre qu'est Le Capital. Les enjeux de ces analyses pour notre époque se montrent d'eux-mêmes, à l'heure où, plus que jamais, la «faim sacrée de l'or» impose sa loi sous le couvert d'un économisme triomphant.