On sait à quel point la réception des études « postcoioniales » aura été tardive et compliquée en France, et comme règne encore une certaine confusion à leur sujet. Un des principaux mérites de ce livre de Vivek Chibber est de partir d'une analyse minutieuse des textes de plusieurs théoriciens indiens issus des Subaltern Studies et devenus des figures incontournables du « postcolonial » - tels Dipesh Chakrabarty ou Partha Chatterjee - pour démonter radicalement non seulement les
dérives de ce courant, mais surtout ce dont elles découlent, c'est-à-dire plusieurs de ses thèses fondatrices. La profonde originalité de la démarche de Chibber tient à la fois dans le défi central qu'il lance aux « déconstructions » et « essentialisations » postcoloniales et à l'utilisation plurielle et ouverte qu'il fait de la théorie marxiste, démontrant ainsi - tant dans la forme que dans le fond - sa validité et son universalité.
Ce livre et les très nombreux débats qui l'ont accompagné marquent un tournant décisif dans l'appréhension des problématiques Nord-Sud et dans le développement d'une théorie globale du capitalisme et de son dépassement.
« Il nous faut montrer que les deux parties du globe sont sujettes aux mêmes forces fondamentales et font par conséquent partie de la même histoire fondamentale. Les forces auxquelles je me réfère sont ce que j'ai appelé les deux universalismes - la logique universelle du capital (définie convenablement) et l'intérêt universel des agents sociaux pour leur bien-être, qui les incite à résister à la tendance expansionniste du capital. Ces forces affectent à la fois l'Orient et l'Occident, même si elles le font avec différentes intensités et dans différents registres. Cela signifie qu'il y a une histoire universelle, à laquelle l'Orient et l'Occident participent tous deux de manière permanente. »