L'abbé Grégoire est l'un des personnages phares de la première partie du
XIXe siècle, après avoir été l'un des protagonistes majeurs de la Révolution
française. Si les études qui lui sont consacrées sont nombreuses, «la
grande biographie» tant attendue manquait encore, tant la complexité de
l'homme et les multiples combats qu'il a menés avaient jusqu'à aujourd'hui
découragé les historiens...
Grégoire fut un acteur à part entière des grands bouleversements de
son temps : député aux États généraux puis à l'Assemblée constituante,
il y joua un rôle de premier plan, tant pour le ralliement du bas clergé au
tiers état que lors de la rédaction de la Déclaration des droits de l'homme
et du citoyen ; membre dirigeant des deux Sociétés des Amis des Noirs,
il fut sans cesse au devant du combat contre la traite négrière, l'esclavage
et le «préjugé de couleur» ; évêque constitutionnel, il fonda «l'Église
gallicane» indépendante de Rome ; député à la Convention nationale et
cofondateur de la République, il fut envoyé en mission dans les départements
au plus fort de la guerre de défense révolutionnaire de 1793 ; sénateur
sous Napoléon, il s'opposa à l'Empire ; sous la Restauration, enfin,
il incarna l'héritage révolutionnaire et républicain, à contre-courant de
l'idéologie des ultras nostalgiques d'un Ancien Régime mythique...
Le livre d'Alyssa G. Sepinwall, enfin traduit en français, vient apporter
un éclairage nouveau et nécessaire sur celui qui fut choisi par le président
de la République, aux côtés de Condorcet et de Monge, pour entrer au
Panthéon en 1989. Les controverses qui avaient accompagné cette ultime
consécration républicaine de Grégoire - notamment déclenchées par l'Église
catholique, mais également par certains intellectuels qui virent en lui
un «convertisseur» des juifs - trouvent en ce livre non un écho, mais une
magistrale mise en perspective historique, alors que sa pensée reste d'une
actualité confondante - débats sur la laïcité, les langues régionales, etc.