Lacan et la honte
De la honte à l'hontologie
La honte, remarquait Jacques Lacan, « on s'en est longtemps tu », car « ce n'est pas de cette chose dont on parle le plus aisément ». Le long silence de la psychanalyse à l'endroit de la honte suffit à le démontrer, à quoi semble s'opposer la multiplicité des travaux qui lui sont aujourd'hui consacrés. Ainsi, une question nouvelle surgit du lieu même de notre modernité : de quoi la honte nous fait-elle signe ? Jacques Lacan s'efforça d'y répondre, à l'occasion d'une leçon de son Séminaire L'envers de la psychanalyse, laquelle constitue la pointe de son apport sur la honte. Bien des thèses s'y bousculent, dont l'on tâchera ici de vérifier la portée dans la pratique psychanalytique, autant que dans le lien social contemporain. À leur croisée, soulignons déjà le diagnostic établi dans ce Séminaire : il n'y a plus de honte, derrière quoi pourtant, « une honte de vivre » affecterait secrètement le sujet moderne. Et Lacan d'en conclure : « C'est ça, que découvre la psychanalyse ». Il s'agira dans cet ouvrage d'en éclairer les raisons, mais aussi de faire valoir ici l'inédit de l'offre analytique. Soit, là où proteste le dire du sujet de la honte « Oh non ! », qu'il soit rieur ou silencieux, permettre qu'advienne un savoir. N'est-ce pas là un pari de la psychanalyse ? Freud n'y aurait pas contrevenu, qui aura fait de l'association libre, la « promesse » de ne pas céder sur la honte, plutôt d'apprendre d'elle. Enfin, la réédition de cet ouvrage a été l'occasion d'ajouter un nouveau chapitre intitulé « La honte et le numérique ». Ce que Jacques Lacan nommait déjà « le mouvement numérique », pour définir la bascule opérée par le discours scientifico-capitaliste, nous donne aussi l'occasion de réinterroger, depuis la psychanalyse, ce que devient la honte sur nos écrans d'aujourd'hui.