Une des orientations principales de la sociologie des organisations françaises actuelles est de promouvoir un modèle libéral de gouvernement des entreprises : l'analyse se focalise sur l'autonomie, la délégation, le droit à l'erreur, la décentralisation, le décloisonnement, la coopération, bref sur la «débureaucratisation». L'affaiblissement des hiérarchies, de l'arbitraire patronal et l'émergence d'une «organisation entrepreneuriale» effaçant les nombreuses contraintes héritées des bureaucraties finissantes sont des phénomènes souvent présentés presque comme des évidences. Pourtant, certaines politiques de gestion de ces vingt dernières années donnent à l'organisation un visage autre, moins simple, moins univoque. Pourtant, certaines théories sociologiques et politiques majeures invitent à modérer les diagnostics optimistes et volontaristes de la sociologie organisationnelle contemporaine.
Cet ouvrage cherche à comprendre comment les organisations sont actuellement gouvernées, en s'appuyant sur l'analyse de trois réformes managériales : l'introduction de la segmentation des marchés dans le secteur bancaire, l'introduction du management de projet dans les politiques de gestion de l'innovation et des personnes, et la logique de compétence. En montrant les ressorts des systèmes d'autorité et de légitimité apportés par ces réformes, il réhabilite le concept de domination à la fois comme moteur légitime des relations politiques dans les organisations, et comme cœur de l'analyse sociologique. Il interroge les théories sociologiques de l'acteur et du pouvoir en identifiant la fragilité de certaines de leurs conceptions face aux mécanismes gestionnaires contemporains. Il analyse enfin les motifs essentiels d'un retour des bureaucraties, et de la solidité d'un régime politique organisationnel fondé sur une figure assouplie de despotisme.