Entretien avec Madeleine Rebérioux sur L'Affaire Dreyfus. Le 15 octobre 1894 le capitaine Alfred Dreyfus (1859-1935), alsacien et juif, était condamné pour espionnage au profit de l'Allemagne, dégradé (épisode et célèbre humiliation de la cour de l'École militaire) puis envoyé dans le terrible bagne de l'Île du Diable. De 1894 à 1906, date de la réhabilitation de Dreyfus, l'Affaire déchaîne, divise, déchire la France entière et la République naissante: l'Armée, l'Eglise, les partis politiques, aucun corps, aucune institution, aucun citoyen n'échappe à la discorde. C'est au cours de la campagne de révision du procès qui commence en 1897 que la Ligue des Droits de l'Homme voit le jour. Au coeur des lignes de force du combat pour l'innocence de Dreyfus il y a la lutte contre l'injustice, l'illégalité, l'arbitraire, la xénophobie et la défense de ce qui deviendra la laïcité. Une nouvelle modalité de la citoyenneté moderne apparaît alors avec la figure de l'intellectuel. Il est inutile de préciser à quel point ces thèmes sont toujours actuels. Mais en quel sens ? et quelles leçons de l'Affaire faut-il aujourd'hui retenir ? quels parallèles peut-on établir entre cette crise qui a secoué le début de la troisième République et la crise actuelle: déclin du mythe républicain, montée de la xénophobie dans une Union Européenne fragile, antisémitisme, recul du civisme ? Historienne, militante et intellectuelle au sens historique du terme, Madeleine Rebérioux (1920-2005) a présidé la Ligue des Droits de l'Homme et a publié de nombreux ouvrages de référence sur la France au tournant du XIXe et XXe siècle.