En 1930, alors que, surréaliste dissident, il travaillait à la revue Documents, Michel Leiris fut invité par son collègue l'ethnographe Marcel Griaule à se joindre à l'équipe qu'il formait pour un voyage de près de deux ans à travers l'Afrique noire.
Ecrivain, Michel Leiris était appelé non seulement à s'initier à la recherche ethnographique, mais à se faire l'historiographe de la mission, et le parti qu'il prit à cet égard fut, au lieu de sacrifier au pittoresque du classique récit de voyage, de tenir scrupuleusement un carnet de route. Ce parti cadrait avec les vues du grand sociologue Marcel Mauss recommandant aux chercheurs la tenue de tels carnets en marge de leurs enquêtes sur le terrain. Mais, tour personnel donné à cette pratique, le carnet de Michel Leiris glissa vite vers le «journal intime», comme s'il était allé de soi que, s'il se borne à des notations extérieures et se tait sur ce qu'il est lui-même, l'observateur fausse le jeu en masquant un élément capital de la situation concrète. Au demeurant, celui pour qui ce voyage représentait une enthousiasmante diversion à une vie littéraire dont il s'accommodait mal n'avait-il pas à rendre compte d'une expérience cruciale : sa confrontation tant avec une science toute neuve pour lui qu'avec ce monde africain qu'il ne connaissait guère que par sa légende ?
Ainsi s'est édifié L'Afrique fantôme, qui consiste essentiellement en la reproduction des notes narratives ou impressionnistes que l'auteur avait prises au jour le jour, non moins attentif à ce qui se déroulait dans sa tête et dans son cœur qu'à ce qui, extraordinairement divers et par des voies diverses elles aussi (appréhension directe, information pure ou participation vivante), l'atteignait du dehors.