Depuis mes premiers pas dans le champ psychiatrique, en 1947, il m'a
paru nécessaire de mieux cerner le sens du concept d'aliénation. En effet, ses
acceptions étaient souvent approximatives - sans parler de l'interdit prononcé
à son égard en 1932 par l'idéologie stalinienne. Depuis 1948 - au
moment de la condamnation de la psychanalyse par le «jdanovisme» -
j'ai insisté sur la distinction entre «aliénation sociale» et «aliénation
psychopathologique». Prise de position fondamentale, d'autant plus
qu'une vingtaine d'années plus tard les «antipsychiatres» considérèrent les
«maladies mentales» comme simples effets des problèmes de société : thèse
qui constitue l'un des facteurs de la confusion actuelle entre resocialisation
et soins. Il est nécessaire de proposer quelques jalons pour lutter contre un
processus de «déspécification» du fait psychiatrique. En effet, sur la base
d'une idéologie médicale rudimentaire, cette attitude conduit à une
hyperségrégation sous le couvert d'une technique «moderniste» taillée
dans le «bon sens» médiatique et le consensus des bien-pensants. Le mot
«aliénation», d'origine latine, apparaît dans plusieurs domaines : juridiques,
métaphysiques, esthétiques, religieux. Mais nous nous appuyons
surtout sur les expressions germaniques, celles reprises par Hegel, puis
Marx. L'étude des processus, des contextes sociaux qui sont en jeu dans
cette sorte de «sémiose», est d'autant plus importante que l'analyse de
l'aliénation sociale est la base même de toute «analyse institutionnelle».