Pour le sens commun, il existe de bonnes et de mauvaises paroles, identifiées selon une morale sociale relative aux époques et aux cultures : tout locuteur européen maîtrisant les codes discursifs de son environnement sait qu'en principe, la médisance est un « mauvais » énoncé, au contraire du compliment.
Pour les disciplines savantes, il n'existe rien de tel. La question morale n'appartient pas au programme de la linguistique. Pourtant, depuis une soixantaine d'années, le développement des travaux en éthique et en épistémologie ont modifié la définition des catégories de pensée. Pour le courant pragmatiste et pour l'épistémologie des vertus, de tradition aristotélicienne, la vertu morale et la vertu intellectuelle sont enchevêtrées et parfois confondues : le savoir a des aspects normatifs. À partir de là l'hypothèse d'un aspect normatif du discours peut se formuler et la question éthique se poser à la linguistique.
Cet ouvrage est consacré à l'élaboration des conditions de l'intégration de la dimension morale à l'analyse linguistique des discours, en particulier à travers la notion de vertu discursive. À partir d'exemples contemporains d'événements discursifs - débats et scandales provoqués par les mots -, on montre qu'un énoncé témoigne d'une vertu discursive quand il est ajusté aux critères de décence en cours et témoigne de la réflexivité discursive de son producteur.