Quoi de plus naturel qu'un Etat ait une langue nationale, tout comme
il a une armée ou une administration ? Cette évidence masque ce que le
culte d'une langue partage avec les cultes plus anciens, un certain rapport
à soi d'une collectivité politique. Le rapport à la langue «nationale» participe
du modèle culturel d'une société, de son modèle d'ordre.
Cette affirmation est démontrée à partir d'un laboratoire naturel, la
Suisse. Le cadre politique commun permet de mettre en évidence l'incidence
du rapport à la langue nationale à partir des différences entre Suisse
française et alémanique. Les différentes préférences politiques de ces
deux régions linguistiques sont bien connues, mais pas expliquées. Il est
montré ici de manière systématique que ce qui est appelé parfois culture
ou mentalité relève du rapport spécifique à soi, de l'identité collective en
tant qu'architecture des espaces publics. Avoir une langue standardisée ou
un parler n'est pas d'abord une différence linguistique, mais une manière
distincte d'établir un rapport à soi en tant que collectivité politique. L'architecture
spécifique des espaces publics détermine non seulement l'ordre
mais également le mouvement et la direction préférés d'une collectivité.
Au travers du rapport à la langue commune, c'est une étude des manières
dont l'institution du politique détermine les politiques qui est proposée. A
partir des relations connues entre régions linguistiques et préférences
politiques exprimées en votation, l'étude se poursuit en examinant les rapports
spécifiques à d'autres médiations - les médias, les clercs - ainsi que
les manières spécifiques d'aborder les débats et problèmes publics.