Le P. Gaston Fessard (1897-1978), philosophe et théologien majeur du
XXe siècle, est aujourd'hui méconnu. Pourtant, rédacteur en 1941 de France,
prends garde de perdre ton âme ! contre le nazisme, il ne témoigna pas moins de
lucidité et de courage vis-à-vis du communisme. En dialogue avec les grands
intellectuels de son temps (Teilhard de Chardin, Kojève, Aron, Lubac, Marcel,
Mounier, Lévi-Strauss...) et spécialiste de Hegel, Marx et Kierkegaard, le
P. Fessard a laissé un ensemble impressionnant de jugements lucides sur son
temps. Cette acuité s'appuie sur une véritable méthode de discernement, dont
le fondement rationnel se décompose en deux volets majeurs : le premier,
consacré au rapport de la liberté avec le temps et l'histoire, se déploie dans les
trois tomes de sa Dialectique des Exercices spirituels de saint Ignace de Loyola (1956,
1966, 1984) ; le second, étendant la méthode de décision aux questions
politiques et économiques, s'organise principalement autour du Mystère
de la société. Recherches sur le sens de l'histoire (1946-1948), pour élaborer une
véritable anthropologie sociale.
C'est ce second volet qui est ici, pour la première fois, présentée dans son
intégralité. F. Louzeau analyse les trois dialectiques fondamentales qui articulent
les figures concrètes de la liberté dans la société et l'histoire : la dialectique du
maître et de l'esclave, qui éclaire la faille du marxisme, définit les éléments du
"social" et discerne les contradictions internes des mythes totalitaires ; son interférence
avec la dialectique de l'homme et de la femme, d'où sont issues les trois
relations de paternité-maternité-fraternité, qui fondent la structure de toute
société humaine ; et la dialectique paulinienne du païen et du juif, source et
principe d'exacte interprétation des deux précédentes.
L'étude est suivie d'un document exceptionnel, Collaboration et Résistance au
Pouvoir du Prince-Esclave (octobre-décembre 1942). Adressé au cardinal Suhard, ce
mémoire d'une centaine de pages était resté inédit sous sa forme intégrale et,
comme tel, ignoré des meilleurs historiens de cette période.