Les noms de Courbet et Whistler sont étroitement liés. De leur vivant, ils furent proches confrères et amis. À l'automne 1865, lors d'un séjour sur la côte normande considéré comme l'acmé de leur connivence, Courbet appelle Whistler « mon élève », terme qu'il n'a utilisé en aucune autre circonstance pour aucun autre peintre. Durant la même villégiature, Whistler, de quinze ans son cadet, pastiche une ancienne composition du maître, illustrant le dialogue étroit que les deux peintres entretinrent. Plus tard, Whistler n'appellerait plus cette toile que : « mon Courbet ». Le possessif dans la bouche de chacun parlant de l'autre en atteste : Whistler eut son Courbet comme Courbet eut son Whistler. Mais si Courbet et Whistler furent étroitement liés de leur vivant par leur art, leurs affinités et leurs cercles communs, leurs noms le sont plus encore aujourd'hui - et pour un tout autre motif. Cent cinquante ans plus tard, les deux hommes ont pour plus petit dénominateur commun le plus célèbre et le plus scandaleux nu de l'histoire de la peinture. Chacun pourra le vérifier sur le premier ordinateur venu : en googuelisant les deux mots Courbet Whistler, L'Origine du Monde s'affiche aux premières occurrences de la première page du moteur de recherche.
Whistler Courbet = L'Origine du Monde.
Le présent ouvrage se propose de rencontrer au plus près le Courbet de Whistler et le Whistler de Courbet, et de comprendre comment l'intersection de leur deux noms aboutit, pour des centaines de millions d'internautes, à ce sexe de femme anonyme, une image de 1866 encore considérée, sur le web, en 2017, comme pornographique. Où l'on verra qu'une toile du XIXe en dit long sur la toile du XXIe. Où l'on verra aussi comment la relation de deux artistes qu'une génération sépare a été dévoyée, par un siècle et demi d'Histoire de l'art et de rumeurs, en une vulgaire affaire de moeurs oedipienne. Une épineuse rivalité sexuelle autour d'une même femme, Joanna, qui mérite amplement relecture et réserve bien des surprises.