L'auteur, l'autre
En mars 1921, quand les plaisirs et les jours viennent
à manquer, Marcel Proust, entrant dans la phase finale
du Temps retrouvé, écrit une étrange lettre à un jeune
lecteur inconnu, Thiébault Sisson. Il y joint un article
d'une dizaine de pages sur À la recherche du temps
perdu. Croyant sans doute qu'on n'est jamais mieux
critiqué que par soi-même, il souhaite le faire publier
anonymement sous l'intitulé : L'Esthétique de Marcel
Proust. Proust par Proust, mais sans son nom. L'auteur
et l'homme qui vit et meurt sont deux. L'auteur,
c'est toujours l'autre, écrivait-il dans Contre Sainte-
Beuve. Jamais publiée, cette analyse sera, dit-il, « le
seul document valable sur son roman ». Elle livrera « le
secret de son oeuvre et de sa composition ». Ce texte sert
de noyau à la réflexion de Michel Schneider, qui se
fait le double de Proust pour nous montrer un étrange
ballet d'ombres où l'on voudrait ne pas être celui qu'on
est, et vivre sur le papier ce qu'on ne vivra jamais, et
qui s'appelle le roman.