Ce qui caractérise la fin du XVIe siècle, c'est une série de tentatives, d'attitudes, d'essais de nouveaux accords qui préludent à ce qu'interprétera par la suite l'orchestre du baroque au grand complet.
Cette période, c'est celle du Maniérisme, située entre la période apollinienne de la Renaissance et celle, dionysiaque, du Baroque. Carlo Ossola l 'a minutieusement étudiée dans l'Automne de la Renaissance, en s'appuyant sur des textes de poètes et de critiques, surtout sur des traités d'art de la seconde moitié du Cinquecento (Dolce, Gilio, Paleotti, Comanini, Danti, ainsi que sur Varchi, Vasari et Lomazzo). À cette époque, comme le note Ossola, « les limites des choses s'effacent : la parole se fait couleur, la couleur musique et chaque chose peut en devenir une autre ».
Analysant les règles de ces écritures, Ossola met en évidence les normes avec lesquelles elles tentaient de fixer, de sauvegarder, de distinguer une syntaxe qui leur fut propre. L'effort consacré à parcourir l'infinie multiplicité des êtres et des formes est exigé par le désir de parvenir à la reductio ad unum finale. C'est à cause de cette intention, latente ou manifeste, que nous pouvons encore distinguer entre l'« automne de la Renaissance » et la pluralité de perspectives d'où naît le sens du vivant et du provisoire de la civilisation baroque.
Publié en 1971, mis à jour et étoffé en 2014, cet essai de référence est une grande fresque sur la fin de la civilisation de la
Renaissance en Italie.
Carlo Ossola est professeur au Collège de France, chaire de « Littératures modernes de l'Europe néolatine ». Il a notamment publié Le Continent intérieur (2013) ; À vif. La création et les signes (2013) ; Fables d'identité. Pour retrouver l'Europe (2018) ; avec Michel Butor : Conversation sur le temps (2012).
Je relis L'enfant d'Agrigente, je relis Le latin mystique, je relis Curtius, Auerbach, Pierre de Nolhac... : je les réunis en esprit dans une collection idéale qui satisfait à la conception que je me fais de l'essai. Le mot est à la mode et désigne un genre polymorphe : essais historiques, scientifiques, politiques, critiques ; tantôt l'exposé d'un point de vue brillant et instantané, proche du pamphlet, tantôt la quintessence de recherches patientes dans un champ disciplinaire donné. C'est plutôt ainsi que je vois la création d'une collection intitulée « Les Belles Lettres/essais ». Dans le paysage éditorial français, notre maison se distingue par la place qu'elle réserve à l'érudition, cette sévérité, qui est de fondation, est son honneur. Elle se distingue aussi par la place éminente donnée à des langues et à une culture qui sont de plus en plus l'apanage de spécialistes. Mais l'érudition n'est pas cuistrerie et il arrive que la spécialité partagée vienne enrichir d'un éclat irremplaçable la culture universelle. Seulement, il faut, pour cela, infuser à la philologie une âme, c'est-à-dire de l'amour - et un style. Ou, comme sur la monnaie d'Auguste, à la lenteur cuirassée du Crabe marier la légèreté du Papillon1. C'est le rôle de l'essai, essai en ce sens aussi que, relevant ce défi, on a mesuré la part de risque.
1. Revers de l'aureus frappé en 19 av. J.-C. par le triumvir monetalis M. Durmius. Notre image est empruntée aux Sententiose Imprese di monsignor Paolo Giovio et del signor Gabriel Symeoni, ridotte in rima per il detto Symeoni, Lyon, G. Rouille, 1561, p. 11 (« Festina lente »). Cf. W. Deonna, « The crab and the butterfly : a study in animal symbolism », JWCI, LXV (1954), p. 67 suiv. ; I. Calvino, Leçons américaines, Gallimard, 1989, Deuxième Conférence : « ... Bizarres l'une et l'autre, l'une et l'autre symétriques, ces deux formes animales établissent entre elles une harmonie inattendue. »