C'est comme par effraction que l'Histoire s'introduit dans la vie de Lazare Carnot (1753-1823), brillant officier du génie issu de la bourgeoisie provinciale. Comme elle le sera plus tard pour un autre officier de carrière, Charles de Gaulle, c'est la volonté de résistance à l'envahisseur qui l'amènera à tenir un rôle majeur dans les affaires de l'Etat. On le sait, c'est lui principalement qui sauve l'indépendance nationale en «organisant la victoire» au sein du Comité de salut public en 1793 et 1794, mais sa présence politique reste forte jusqu'aux Cent-Jours et à la Restauration. Elle n'est pas celle d'un révolutionnaire, encore moins d'un opportuniste comme on l'a trop facilement répété, mais plutôt celle d'un prophète, animé du désir désintéressé de changer les manières de voir de ses contemporains profondément divisés par la rupture introduite par la Révolution. Réconcilier les Anciens et les Modernes et ce que l'on commence à appeler la «droite» et la «gauche», enrichir la patrie des valeurs propres aux deux héritages, tel est le sens de l'engagement d'un homme qui pendant plus de vingt ans a croisé tous les milieux - militaire, politique, intellectuel.
Ce sont les valeurs de morale et de progrès qui portent la dynamique de la pensée et de l'action de ce savant, fils des «secondes Lumières», et ce jusque dans les sciences où il excelle et où il s'investit aussi sa vie durant : chef d'Etat en sa qualité de membre du Directoire, il est néanmoins élu à l'Académie des sciences pour ses recherches en mathématique et en mécanique : éclatant symbole de sa double passion pour la chose publique et pour la connaissance.
Il est sans conteste l'une des figures les plus nobles et les moins contestables d'une période qui n'a pas manqué d'hommes d'exception.