Émerveillé par tout ce qu'il imagine, le narrateur
d'À la recherche du temps perdu ne trouve jamais dans
la réalité ce que son imagination lui en avait fait attendre.
Parce qu'on ne peut imaginer que ce qui est absent, toute
présence le dégrise de ce qu'il en avait attendu. S'ensuit
la mélancolique alternative d'une double déception : soit
qu'il s'émerveille de ce qu'il ne peut pas voir, soit qu'il ne
puisse rien voir sans en être déçu.
À la fin de l'oeuvre cependant, l'expérience du souvenir
involontaire lève cette alternative. Car c'est bien quelque
chose de réel que lui livre alors une sensation. Mais, pour
être retrouvée, cette réalité doit être reconstruite et transmuée
par l'imagination. Aussi a-t-elle la même intensité
qu'une création poétique.
Toute l'entreprise proustienne consiste dans ce retournement.
D'abord conçue comme l'expérience d'une séparation
et l'évocation d'une absence, l'imagination s'y révèle
à la fin comme un mime qui nous rend présente la réalité
en la recréant intérieurement.