Un magnifique poète soufi du XIIIe siècle, Rumi, raconte qu'avant de mourir, un homme réunit ses trois fils et leur dit : « Que celui d'entre vous qui est le plus sage soit l'héritier de tous mes biens. » Et il disparaît. Un juge chargé par le père d'évaluer leur sagesse demande à chacun : « Dites-moi quelle vertu particulière vous pratiquez. »
Le premier fils dit : « Moi, je connais un homme dès l'instant qu'il parle. »
Le second dit : « Si quelqu'un me parle, je comprends ce qu'il dit, et s'il ne parle pas, je l'y oblige ! »
Le troisième fils enchaîne alors : « Moi, devant un homme, j'observe mon souffle et reste silencieux. J'utilise la patience comme une échelle pour monter sur le toit du bonheur ! »
On peut deviner lequel des trois fils a été jugé le plus sage... Je crois qu'il s'appelait Jacky, et qu'il a réalisé une oeuvre habitée par le souffle, la patience et le silence.
C'est qu'il en fallait, du souffle, pour construire et faire tourner une oeuvre aussi magistrale que Des Moulins et des Hommes.
De la patience, sûrement, et pas peu. On devine les chemins parcourus, les rencontres, les plongées dans les archives pour rassembler autant de souvenirs, d'informations, d'émotions, et les faire vivre, surtout, dans un récit captivant.
Quant au silence... il accompagne l'eau et le vent des villages traversés et il habite de bout en bout cette grande geste meunière au pays de l'Ourthe, jusqu'à nous rejoindre tout à l'intérieur.
Et comme Jacky Adam a construit, de livre en livre, un monument impressionnant, il n'a pas oublié de nous lancer une échelle en nous invitant à grimper avec lui sur le toit du bonheur.
Gabriel Ringlet