Bâtard conquérant, né de la rencontre entre le vulgaire et le
savant, le roman est l'héritier d'une généalogie impossible, toujours
à réinventer. Le genre s'est pourtant développé dans un contexte
bien particulier et dans une période relativement brève, dès la
deuxième moitié du XIIe siècle, alors que le nom de la langue
vernaculaire, opposée au latin, en vient de plus en plus souvent à
désigner une certaine forme d'écriture narrative dont les
caractéristiques vont s'affirmer au cours du siècle suivant. Ce genre,
qui s'est imposé comme une forme narrative dominante dès le
Moyen Âge et qui - phénomène unique - s'est maintenu dans la
nouvelle typologie des genres modernes, s'est d'abord défini à l'aune
du latin et de la culture classique, puis redéfini dans le contexte
particulier d'une Europe polyglotte. En partant du mot roman et du
sens que lui donnaient les auteurs médiévaux jusqu'à la
matérialisation de la chose dans l'histoire du livre médiéval, la
réflexion sur cette nouvelle forme narrative permet d'interroger
aussi bien le problème de la théorie des genres dans le contexte
particulier de la « littérature médiévale que la question des
dominantes esthétiques de la première écriture romanesque. Loin
d'être un genre sans histoire qui évoluerait de manière linéaire
depuis sa naissance médiévale jusqu'à la maturité romantique, le
roman se caractérise plutôt par sa dimension fondamentalement
autocritique, voire constitutivement antiromanesque. Le romancier
serait donc, d'aussi loin qu'il se manifeste, à la fois créateur et
destructeur, habité par une méfiance tenace à l'égard de cette langue
sans passé qui donne son nom au genre de l'avenir.