Désormais dégagé du débat autour des origines, Le Conte du Graal se trouve depuis une trentaine d'années au carrefour de tous les discours critiques auxquels il résiste d'ailleurs, déjouant toutes les grilles de lecture pour continuer à faire signe... Enigmatique, inachevé, oscillant entre ironie et sérieux, ce texte est grand de ne pas tout dire, alors qu'il met précisément en scène les enjeux primordiaux associés à la parole. Entre silences et paroles se déploie en effet une matière narrative à la fois familière et atypique dont l'étrangeté se lit au miroir d'un espace dédoublé : deux héros évoluent entre deux mondes, passent par deux lieux conjecturaux où les attendent deux types de merveilles - le château du Roi-Pêcheur et le château des Reines mortes - tandis que la dramaturgie du Graal réitère avec insistance les deux questions essentielles, celle de la Cause et du Devenir, qu'en cette fin de XIIe siècle la pensée médiévale n'osait pas encore proférer à haute voix...