Pourquoi Platon, Xénophon, Plutarque, Lucien et Athénée ont-ils choisi de placer leurs savants personnages dans des banquets ? Aucun d’entre eux ne semble pouvoir se comporter à table et dans le vin comme il le ferait dans le cercle, moins agité, d’une école. Il en va jusqu’à Socrate qui, loin de refuser les plaisirs de la chère, s’en sert pour conduire ses compagnons de boisson vers la philosophie. Car le banquet ne constitue pas le simple cadre formel de discussions plus déliées qu’ailleurs : il en devient le sujet même et permet, à partir d’une incongruité ou d’une plaisante obscurité, d’ébranler l’opinion première des convives et de créer les conditions d’une recherche partagée. Mauvais savant serait celui qui, dans de pareilles circonstances, revendiquerait un savoir établi et définitif pour refuser le plaisir symposiaque d’une conversation volontiers facétieuse à laquelle chacun, loin de toute érudition de mauvais aloi, doit, au contraire, apporter son écot. La table et le vin révèlent l’homme tel qu’il est, philosophe ou ignorant, non seulement dans ses paroles mais aussi dans ses actes : bon convive est le vrai savant.