Dans l'édit de décembre 1723 concernant le statut des esclaves de
Bourbon, du Roi de France, Louis XV, ceux-ci sont vécus uniquement
comme des travailleurs. Ils sont avant tout deux bras, sans âme et sans
état d'âme. Comme ce législateur ne prévoit pas pour eux l'apprentissage
de la lecture et de l'écriture, ils se retrouvent dans l'incapacité de laisser
d'abondants témoignages écrits sur leur aventure personnelle. Dès lors,
l'oeuvre de ces acteurs de l'histoire ne peut être cernée qu'à partir des
documents écrits par les autres, par ceux qui ne sont pas de leur monde.
Cette histoire peut être qualifiée de manière désobligeante d'officielle
puisqu'écrite à partir de documents officiels.
En définissant l'esclave comme un meuble, ce même législateur ne
peut mieux nier leur corps. Il affiche ouvertement sa contradiction quand
il exige que leur corps soit néanmoins nourri, soigné, surveillé, dressé,
pourchassé et châtié. L'enquête de Prosper Eve est centrée sur le corps,
car l'esclave n'existe que par son corps qu'il présente au monde. Son corps
est le vrai livre de son histoire présente. Accident, maladie, coups laissent
leurs traces. Son corps peut aussi livrer un pan de son passé, notamment
de l'histoire culturelle et religieuse de son groupe ethno-culturel, et faire
découvrir ainsi ses plages de liberté.
L'auteur prouve ainsi que le silence de l'histoire des esclaves de
Bourbon peut être rompu en questionnant autrement la documentation
écrite ou iconographique existante.