Je tenais enfin sa vie entre mes mains ; je
fouillais du regard son visage, essayant d'y
saisir l'ombre d'une inquiétude. Il était là,
debout, à la merci de mon pistolet, triant dans
sa coiffure les cerises mûres dont il crachait
les noyaux jusqu'à mes pieds. Son sang-froid
me mit en rage. Quel intérêt, pensais-je, de lui
ravir la vie, alors qu'il n'y attache aucun prix ?
Une idée perverse me vint à l'esprit. "Vous ne
semblez pas pour l'instant d'humeur à mourir,
lui dis-je ; déjeunez, s'il vous plaît, je ne saurais
vous en empêcher". "Vous ne me gênez
nullement, répliqua-t-il ; tirez, je vous en prie ;
d'ailleurs, c'est votre tour et je demeure à
votre disposition". Je déclarai aux témoins que
je n'avais pas aujourd'hui l'intention de tirer,
et le duel s'acheva là-dessus.
Je pris ma retraite et me retirai dans ce coin.
Il ne s'est pas passé un jour depuis, sans que je
repense à ma vengeance. Maintenant mon
heure est venue...