La foi et la raison, dans le cas de la pensée chrétienne et plus particulièrement
catholique, non seulement se contredisent aujourd'hui moins
que jamais, mais la question même de leur supposé conflit n'a aucun
sens et ne devrait même pas se poser. Peut-être peut-on perdre la foi
(selon l'étrange expression reçue), mais sûrement pas parce qu'on gagne
en raison. Il se pourrait que l'on perde en foi, parce qu'on imagine la raison
incapable de comprendre une part - et une part décisive, la plus décisive
même - de ce que notre vie nous fait expérimenter. Très vite, on fait la
part du feu : la raison ne comprend pas tout, il faut donc admettre des
espaces immenses qui restent incompréhensibles et irrationnels ; on les
abandonne à la croyance et à l'opinion ; et, bientôt, on renonce définitivement
à penser ce que nous avons déjà expulsé du champ du pensable.
De ce sommeil de la raison, surgissent alors des cauchemars - idéologiques.
Ainsi la séparation entre foi et raison, trop vite tenue pour allant
de soi et toute naturelle, naît-elle d'abord d'un défaut de rationalité, de
la capitulation sans combat de la raison devant l'impensable supposé.
Mais si l'on ne perd pas la foi par excès de pratique de la rationalité, il se
pourrait au contraire qu'on perde souvent en rationalité, parce qu'on
exclut trop vite la foi et le domaine qu'elle dit ouvrir (en l'occurrence
celui de la Révélation). Nous perdons de la raison en perdant la foi.