L'observation statistique et ethnographique d'un des déplacements de populations rurales les plus brutaux et les plus massifs qu'ait connus l'histoire permet de saisir, au moment même où elles sont ébranlées, les structures les plus fondamentales de l'économie et de la pensée paysannes. Le déracinement, qui détruit les cadres spatiaux et temporels de l'existence ordinaire, achève ce que la généralisation des échanges monétaires avait commencé : par référence au seul travail désormais digne de ce nom, celui qui procure un revenu en argent, l'activité paysanne du passé, et toutes les valeurs qui lui étaient associées, se trouvent discréditées. Mais le «métier», qui fait découvrir la vanité du travail paysan, est aussi rare que jamais et cette sorte d'urbanisation négative qu'est la «dépaysannisation» s'accomplit dans la «bidonvillisation» des campagnes que favorise la création décisoire d'agglomérations dépourvues de fonctions économiques.
Cette analyse des processus sociaux qu'engendre la prétention d'accélérer l'histoire par la violence et dans l'ignorance des mécanismes déclenchés ne serait pas tout à fait inutile si elle pouvait contribuer à éviter que l'histoire ne se répète.