6 août 1943. Caché dans le corbillard qui le conduit de Chinon à Paris pour y tenter l'opération
qui seule peut le sauver de l'ulcère à l'estomac dont il souffre depuis des années, le peintre
Chaïm Soutine se remémore, en un flux d'images provoquées par la morphine, toute son
existence. Au-delà du roman de cette vie tourmentée, Ralph Dutli nous offre une allégorie de
la destinée humaine, une sorte de parabole traitant de la douleur et du pouvoir bouleversant
de la couleur et de l'image qui, comme « le jus de pavot de la littérature », parviennent parfois
à l'apaiser, au moins pour un temps.
« Personne ne connaît la route. Personne ne l'apprendra jamais. Et à quoi servirait-il d'énumérer les villages et hameaux, les petites routes, les virages et les détours ? Le peintre non
plus ne voit pas le paysage. Il est allongé dans la pénombre de la Citroën, protégé par des
rideaux gris qui ondulent. Seule sa vie lance encore une fois son cri du fond de ses souvenirs
flottants, dans la douleur endiguée, dans les bribes des anciens désirs, dans la peur des rêves
qui continuent à se tisser. C'était son dernier incendie. Personne ne connaît la route. Personne
ne l'apprendra jamais. Personne ne peut savoir qui est l'homme allongé dans le fourgon mortuaire qui passe. Il n'y a que les tableaux, les rares tableaux qu'il n'a pas déchirés et brûlés.
Personne ne le connaît. »
Ralph Dutli, Le Dernier Voyage de Soutine, 2013