Le devenir autre de l'art
Dans un monde de marchandises, de musées, de médias, l'art est mis en demeure de réaménager sa place. Dans le passé, l'esthétique a fait de l'oeuvre d'art une médiation close de l'existence, désormais elle est portée à s'ouvrir à l'espace social.
Les catégories de forme et de matière, sorte de hiatus congénital de l'art, ont occulté la technicité effective qui produit l'oeuvre ; et si la Renaissance a surmonté ce hiatus en réalisant l'oeuvre d'art dématérialisée (le tableau), la post-Renaissance l'a réintroduit : d'un côté, par l'imitation départie de l'idéalité antérieure (la peinture hollandaise, le réalisme) ; de l'autre, en rendant visible le matériau et sa technicité déroutante (le Baroque, l'art moderne).
La photographie semblait avoir réalisé le rêve réaliste, mais elle a surmonté l'impasse de celui-ci en réglant le hiatus entre la forme élaborée et le matériau (le réel) par son automatisme, et en jouant du potentiel inventif de sa technicité. Plus largement, ayant quitté l'impératif de représentation (poiêsis), l'art s'est littéralisé au gré de la perte des modèles et valeurs de référence. Ses oeuvres, ses actions, qui frappent sans médiation supérieure, sont à la mesure d'une nouvelle forme de la sensibilité qui défie la rationalité esthétique.
L'art dès lors tend à se désautonomiser et se porte à proximité des milieux d'existence. L'esthétisation généralisée de la socialité, les productions de l'industrie culturelle et les nouvelles pratiques en rapport avec l'art, conduisent à une appréhension dédramatisée, distraite, obligeant l'art à son devenir autre.