Dans une discipline donnée, il arrive qu'une découverte en change la teneur. Ainsi en est-il des travaux de Livio Rossetti. Il montre que Socrate et ses disciples ont créé un genre littéraire nouveau dont les écrits ont pris une importance hégémonique dans l'Athènes de la première décennie du quatrième siècle avant notre ère. À partir de ce fait incontestable, il est possible de dessiner la figure historique de Socrate : le créateur d'une manière de dialoguer avec toutes les conséquences que cela implique pour lui-même et pour les autres. Sous la plume de Rossetti, on voit Socrate au travail : un maître en subtilité qui n'est pas toujours bienveillant, mais dont les tours et détours entraînent dans un tourbillon qui fait perdre la tête. D'où l'émergence d'une macro-rhétorique jamais décrite auparavant. Elle consiste à préparer l'interlocuteur pour le mettre en confiance, écarter sa méfiance, le faire entrer dans un jeu dont il ne devine pas l'issue et le faire buter enfin sur une aporie. Si la philosophie est productrice de questions auxquelles il n'est jamais répondu que par d'autres questions, on comprend, comme il est montré ici, que Socrate et ses disciples, dans l'histoire linguistique de la Grèce, aient été les premiers à recevoir le titre de philosophe.