La chose la plus illogique au monde, si l'on continue à envisager
la question du point de vue de la souveraineté du peuple, c'est
d'admettre que des représentants choisis uniquement pour
remplir des fonctions législatives et sans prérogatives spécifiques liées
à la révision de la constitution, puissent, à un moment donné,
s'organiser en assemblée souveraine, et s'arroger ainsi le monopole de la
souveraineté nationale nécessaire pour former une assemblée constituante.
La conclusion est qu'en France, nous nous éloignons de plus en plus
de l'idée d'une constitution écrite, contenant toute l'organisation
politique et constitutionnelle du pays et envisagée comme le résultat
du pouvoir constitutionnel. Ce type de conception, traditionnelle en
France depuis la Constitution de 1791, n'est en aucune façon réalisé
par la soi-disant Constitution de 1875.
En d'autres termes, on sent que les institutions actuelles de la France
ne résultent pas d'un acte de création unique et volontaire de la part
du législateur, mais que le législateur s'est seulement borné à établir
certaines institutions particulières, et que tout l'ajustement de l'organisme
gouvernemental a découlé du développement social organique de la
France au cours du siècle. La Constitution, qui ne doit pas son origine
à un droit écrit, continue à se développer et à se façonner en dehors du
droit écrit, sous l'influence de cette vie sociale. Ainsi une constitution
organique se crée en France, reposant sur les fondations fournies par la
constitution écrite. Le système français tend donc à se rapprocher du
type anglais [...]
La constitution écrite a finalement commencé à céder le pas et par-là,
il semble que des germes spontanés d'institutions vivantes se fraient
un chemin, nourris par le développement du corps social lui-même, et
non par l'interférence plus ou moins opportune du législateur.
Raymond Saleilles