« Je me suis souvent dit qu'un fils de roi, pénétré de toutes les idées de son temps, jaloux d'action, sachant l'histoire, voulant l'augmenter, ambitieux de bonne renommée, se trouvait dans une situation délicate et parfois tragique, lorsqu'il essayait de vivre uniquement en simple citoyen de son pays. S'il se rallie au gouvernement qui ne le proscrit pas, on le méprise ; s'il s'abstient fièrement et se réserve, on le suspecte. Pour les partisans de sa famille déchue, s'il ne conspire pas avec eux, il est un traître, et pour ceux qui gouvernent, s'il rallie à lui les mécontents, il est un ingrat. Tout rôle politique sérieux lui est interdit ; car son opposition serait factieuse et son adhésion hypocrite. Son silence absolu paraît une discrétion sournoise ; la moindre parole dite trop haut le dénonce. On lui fait honte de son inaction ; on lui fait un crime de son action. Il n'a pas même le droit, dans une heure de péril, de rendre des services à la patrie ; car on le soupçonne de fourbir ses titres rouillés, en fourbissant ses armes. On lui refuse d'aimer son pays avec désintéressement. Quoi qu'il fasse ou s'il ne fait rien, il reste toujours un peu proscrit, et ceux qui l'estiment publiquement, sans être de ses amis, ont besoin d'être fort estimés eux-mêmes, pour n'être pas soupçonnés de lui être vendus. »
Louis Ulbach