Le genre intraitable
La présence des islamistes sur la scène internationale met au jour une question taboue dans le monde musulman : celle du rôle de la virilité. En effet, la virilité y incarne un principe politique essentiel - mais un principe qui ne dit pas son nom. Elle ne renvoie pas seulement au vieux problème des rapports entre les sexes, elle est aussi au fondement du despotisme politique et social qui y sévit de longue date. Elle détermine la nature même des gouvernements, et son enracinement explique pour une large part la crise interminable que subissent les peuples musulmans.
Telle est l'hypothèse développée dans ce livre à travers une série de tableaux historiques et contemporains illustrant les débordements et les contradictions des régimes virilistes : de l'anarchie tribale de la période antéislamique jusqu'au rigorisme des wahhabites en Arabie Saoudite, en passant par les violences des grands appareils monarchiques d'autrefois, l'aventurisme guerrier et les cruautés de Saddam Hussein, l'autoritarisme du chah puis des mollahs en Iran, le trouble des hommes ordinaires au Maghreb, en butte à la modernisation et à l'oppression. Chaque problème politique renvoie à un type de virilité et à un territoire. Et dans cette traversée des milieux et des siècles apparaissent le Bédouin du désert, les grands conquérants, le maître du sérail chez les Ottomans, le dictateur moderniste et l'islamiste dans ses variations révolutionnaires ou conservatrices. Mais l'auteure examine aussi l'homme de la Cité idéale des théologiens et des philosophes arabes, lesquels ont combattu, à l'âge classique (VIIe-XVe siècle), ces excès et les divisions qui en résultent.
Nadia Tazi lève nombre de malentendus sur le rapport des hommes à l'autre - à « l'Occident » en bloc, à la femme, ou à l'homosexuel - et renouvelle l'analyse de thèmes décisifs comme le voile, la souveraineté, le culte du chef, la lutte pour la reconnaissance et la guerre.