Le présent ouvrage analyse la politique nucléaire du Japon, deuxième puissance économique mondiale, dans le cadre de sa politique étrangère et de sécurité en Asie Pacifique, depuis la fin de la guerre froide, notamment les rapports avec les États-Unis et la Chine populaire.
Seul pays à avoir subi des bombardements nucléaires, le Japon est à la fois un État non nucléaire, favorable à a la dénucléarisation, un État allié à la puissance nucléaire dont il était jusqu'en 1945 l'ennemi, un État virtuellement nucléaire menant une dissuasion nucléaire virtuelle. C'est dire combien est problématique la distinction entre États dotés d'armes atomiques et États non dotés d'armes d'atomiques, pourtant à la base des études ou des négociations stratégiques !
L'archipel continue d'adhérer à sa constitution pacifiste et à l'alliance américaine. Mais les gouvernements successifs, soutenus par les États-Unis, car enrôlés dans le containment anticommuniste, n'ont pas manqué depuis cinquante ans de réinterpréter la Constitution, à défaut de pouvoir la réviser, tout en restant dans le cadre du "pacifisme constitutionnel", ni d'accroître la liberté d'action au sein de l'alliance, à défaut de pouvoir s'en passer, tout en continuant à bénéficier de la garantie américaine. Parallèlement, les pressions des États-Unis pour un accroissement de la contribution japonaise à la défense de l'Asie du Nord-Est légitimèrent le réarmement, cependant que l'innovation du "pacifisme constitutionnel" permettait simultanément de résister à ces pressions, afin de limiter les coûts de l'alliance bilatérale. C'est ainsi que le Japon, État pacifique, possède depuis le début des années quatre-vingt-dix le deuxième budget de la défense du monde, mobilisant seulement 1% de son PIB !
Le Japon est une "puissance civile" parce qu'il a soumis l'institution militaire à de sensibles restrictions juridiques et parce qu'il ne compte pas sur la force armée pour promouvoir ses intérêts nationaux. Mais il est une "puissance militaire" du fait du volume, de la qualité et du potentiel de ses forces. Le discours antinucléaire s'accompagne de la reconnaissance de la nécessité de la dissuasion, de la maîtrise des processus industriels et filières énergétiques susceptibles d'application militaire, de l'excellence acquise dans l'ensemble des technologies stratégiques. Pour un pays qui ne peut actualiser l'option de défense nucléaire sans s'attirer une hostilité générale, la stratégie de "l'arsenal virtuel" apparaît comme une forme crédible d'armement autonome, adaptée à un complexe militaro-industriel high tech immergé dans l'économie civile. Cultivant l'ambiguïté, le Gouvernement japonais peut envoyer un message dissuasif parfaitement lisible, forme de communication de la menace latente constituée par la puissance nucléaire virtuelle d'un État partie prenante au traité de non prolifération.