Qu'est-ce qui, aujourd'hui, est jugé juste, injuste ou
inacceptable ? La sociologie (avec la théorie de la
justification du système) et la psychologie sociale classiques
(avec la théorie de la dominance sociale) ont souligné le
rôle des positions sociales dans l'appréciation substantielle
du juste aussi bien que dans la formulation même des
conceptions de la justice. Caroline Guibet Lafaye montre,
à partir d'une enquête menée en 2010-2011 sur le thème
Perception des inégalités et sentiments de justice, qu'il
n'est plus aujourd'hui possible de considérer que les
sentiments d'injustice sont exclusivement conditionnés
par des situations singulières dans lesquelles des intérêts
personnels sont lésés. L'incidence de l'expérience
personnelle sur les conceptions individuelles du juste s'avère
très relative, y compris dans le cas d'individus socialement
et professionnellement désavantagés. Seuls deux types
d'expérience (la mobilité sociale et la discrimination)
interviennent de façon décisive dans l'élaboration
normative du juste. L'analyse dévoile une dimension
a priori des jugements de justice ainsi qu'une indéniable
objectivité des sentiments de justice. La référence à des
normes absolues de justice permet en outre de cerner,
au coeur des sentiments d'injustice, les termes de ce que
devrait être, aujourd'hui, le contrat social fondateur d'une
société juste, en régime démocratique et libéral.