Essai sur la défense de l'infini de Louis Aragon
Le livre fantôme est ici un peu plus qu'une image. S'il renvoie au geste précis de l'autodafé de Madrid, par lequel Aragon prétendit avoir détruit, en 1927, son manuscrit de La Défense de l'infini, il est aussi à prendre dans son acception conceptuelle. Toute lecture s'enrichit en effet de la reconnaissance d'énoncés fantômes, ces possibles textuels non réalisés par l'auteur, mais encore présents à titre virtuel. Emprunté à Michel Charles, qui l'avance pour mettre en lumière les profondeurs de la littérature classique, le concept manifeste sa fécondité en présence d'un corpus radicalement différent, sur lequel semblent régner désordre, fragmentation et lacunes. La disparition de la clôture apparente de l'oeuvre stimule l'activité mentale du lecteur ; s'impose en même temps la dimension herméneutique de la lecture comme complément de la réflexion sur les formes. Seul à disposer de la position d'altérité vis-à-vis du texte, le lecteur est peut-être en mesure d'accomplir cette tâche, toujours problématique. Le succès relatif de son entreprise, son échec partiel, interrogent le discours théorique sur la lecture.
Il s'agit aussi de faire apercevoir l'unité souterraine qui relie ce moment de tension extrême et de décomposition aux productions ultérieures. Le rêve romantique de l'oeuvre absolue n'a pas disparu, mais l'aventure se joue aux temps nouveaux du Surréalisme, dont l'onde de choc traversera le siècle. La modernité de l'écriture, bouleversant toutes les références génériques et les codes usuels, apparaît alors comme le creuset des oeuvres futures. Ernergeant d'un immense intertexte, les noms de Sade et de Lautréamont font, au sein de cet ensemble, figure de références majeures.