Le Livre des morts, paru aux États-Unis en 1938, retrace une catastrophe industrielle
survenue à Gauley Bridge (Virginie-Occidentale), au début des années 1930 : lors
du creusement d'un tunnel pour alimenter une centrale hydroélectrique, la roche
se révéla d'une très forte teneur en silice, manne providentielle que la compagnie
exploita immédiatement... Pour de banales raisons d'économie, et dans un cynisme
total, les mineurs travaillaient sans masque, quasiment sans ventilation : plus de 750 hommes, essentiellement noirs, périrent de silicose, étouffés à court ou moyen terme par la poussière. Muriel Rukeyser se rendit à Gauley Bridge en 1937 pour rencontrer les victimes et glaner toutes les informations possibles sur cette tragédie.
Le Livre des morts est un long poème unique et saisissant, collage de plusieurs registres
de langues, tantôt lyrique voire élégiaque, tantôt réutilisant les témoignages des
protagonistes, les minutes de procès et divers articles de journaux, presque inchangés, introduisant un décalage très subtil et profondément subversif.
Ce poème inédit en France est suivi du chapitre « Cadavres, sous-produits des dividendes », extrait du livre de Vladimir Pozner, Les États-Désunis (également paru en 1938), qui relate le scandale sous un autre angle, en utilisant les mêmes sources. La concordance entre les deux textes est telle que leur mise en relation provoque une lecture tout à la fois parallèle et croisée.