Le Parlement européen a une image floue et peu flatteuse auprès des citoyens de l'Union européenne : près de la moitié d'entre eux ignore jusqu'à son existence. Cette situation est la séquelle la plus visible des conditions dans lesquelles cette institution a été créée. Elle n'a pas été conçue comme une assemblée souveraine, mais comme un organe consultatif qui est monté en puissance sans que les règles de fonctionnement des Communautés européennes soient adaptées aux critères démocratiques en vigueur dans les Etats membres. Le manque de popularité du Parlement européen provient aussi d'un fonctionnement nébuleux où priment les coalitions temporaires et les négociations complexes et dont la lisibilité souffre des contradictions qui existent entre ses objectifs internes (la réunion de majorités au sein de l'assemblée, le respect d'une certaine pluralité) et externes (les rapports de force avec la Commission et le Conseil, l'affirmation de la représentativité des députés européens auprès des citoyens).
Pourtant, il ne faut sous-estimer ni l'influence de cette institution dans le système politique de l'Union, ni l'efficacité de ses travaux. L'«anarchie rationalisée» qui régne au Parlement européen lui permet de délibérer malgré de multiples contraintes, qu'il s'agisse de l'hétérogénéité des députés (issus de quinze Etats et de plus de cent partis), du recours à onze langues de travail, des divergences croissantes entre les intérêts nationaux, de la nécessité de réunit des majorités qualifiées et de respecter des délais drastiques ou encore d'un agenda dix fois plus chargé que celui des parlements des Etats membres.
L'expérience qui a lieu depuis cinquante ans au Parlement européen constitue ainsi une réhabilitation sans précédent de la délibération comme mode de décision source de consensus, d'un certain respect du pluralisme et de solutions originales. La délibération a permis à l'assemblée européenne de mettre en débat la politique de l'Union afin d'en réduire l'opacité et les excès technocratiques et de peser sur elle bien au-delà de ce que prévoient les traités. La capacité des députés à produire du consensus à constitué une ressource clé pour pailler les carences d'un système politique représentatif non étatique qui ne peut compter ni sur un idéal républicain ni sur un sentiment national pour assurer sa cohésion et légitimer ses politiques.
En se focalisant sur la délibération du Parlement européen, le présent ouvrage apporte un regard neuf sur la nature et le fonctionnement de cette institution singulière. Il interroge la signification d'une délibération parlementaire à l'échelle supranationale, puis en étudie le cadre, les modalités et les ressorts dans ce qu'elle a de plus concret. Au-delà de l'analyse factuelle, il propose une réflexion sur une institution et une pratique qui sont au cœur des interrogations sur la démocratie et la légitimité dans l'Union européenne et qui conditionnent l'avenir de ce système politique.