C'était il y a vingt ans, c'était il y a un siècle.
Le 1er mai 1990, Jean-Louis Gouraud, atteint d'une crise aiguë de bougeotte, quitte la
région parisienne avec deux chevaux - deux trotteurs français -, Prince-de-la-Meuse et
Robin. Il emporte avec lui très peu de bagages, mais quantité de papiers : permis, visas,
certificats vétérinaires, sanitaires, douaniers. Il doit franchir, en effet, de nombreuses frontières
: traverser les deux Allemagnes, la Pologne et pénétrer, enfin, en URSS.
Il est le premier Occidental autorisé à entrer à cheval en Union Soviétique. C'est Gorbatchev
lui-même qui a donné son accord. Gouraud arrive à Moscou le 14 juillet après
avoir parcouru 3 333 kilomètres en 75 jours : quarante-cinq kilomètres par jour en
moyenne. Sinon un record, au moins une performance.
Accueilli en héros, il offre, comme il s'y était engagé, ses deux chevaux à Gorbatchev
- mais les reprend, dans des conditions rocambolesques, dès que ce dernier
est renversé et «remplacé» par Eltsine.
En vingt ans, Gouraud a souvent refait - pas
toujours à cheval - le voyage et revu ceux qui
l'ont accueilli (plus ou moins bien) lors de son
premier parcours. Certes, rien n'est plus
comme avant : l'Allemagne est réunifiée, la Pologne
intégrée à l'Union Européenne, et l'URSS
a été remplacée par des républiques qui ne
croient plus au communisme, et pas tout à fait
encore au libéralisme.
Rien n'est plus comme avant, mais qu'est-ce
qui a vraiment changé ?
Les nombreuses notes prises par Jean-Louis
Gouraud au cours de ses allers et retours vont bien au-delà de l'anecdote. Il ne s'agit
pas ici du simple récit d'un exploit, mais du portrait équestre d'un empire où, comme
chacun sait, en tout homme sommeille un cosaque. Histoire, littérature, élevage, religion
: rien n'échappe à la curiosité du globe-trotteur, qui alimente ainsi sa réflexion sur
l'art de voyager dans le temps et l'espace.
Après avoir sillonné en tous sens les immensités russes, de la Carélie à la Bouriatie,
de la Volga au Baïkal, de la Kalmoukie à la Iakoutie, pour y voir, toujours, des chevaux,
Gouraud rend ici hommage à un des plus grands nouvellistes russes, Nicolas Leskov,
auteur d'un chef-d'oeuvre connu en France sous le titre Le Vagabond enchanté, qu'il
aurait préféré voir traduit autrement : Le Pérégrin émerveillé, par exemple.
Ses pérégrinations, en tout cas, l'ont amené à s'intéresser à d'autres pérégrins, dont
le plus illustre est le sulfureux Raspoutine, dont il a découvert un texte étrange qui, curieusement,
n'avait jamais été traduit, et dont il donne ici la primeur.