Rédigé et publié en 1936, «Le raconteur» est l'un des
textes les plus caractéristiques de l'écriture de Walter
Benjamin. Dans son style elliptique, il y mobilise des ressources
théoriques, littéraires et spirituelles multiples pour
tenter de conjurer la catastrophe qui s'annonce.
A la dévastation et à la violence, il oppose les regards
convergents de deux figures positives : dans la première, celle
du raconteur, colporteur de récits mais aussi d'expériences
et de sagesses, la seconde, celle du juste, reconnaît sa propre
passion pour «l'aspect épique de la vérité».
Parce que les histoires qu'il rapporte transmettent les éléments
vitaux de ce qui fait communauté parmi les hommes,
le raconteur devient dans ce texte celui dont l'évocation
pourrait bien permettre de nouer enfin les fils que Walter
Benjamin tentait de raccorder depuis le début des années
1920 : le fil politique de l'engagement révolutionnaire, le fil
métaphysique d'une conception de l'histoire et du langage
pour laquelle le champ de ruines des siècles n'exclut pas
qu'on y discerne encore des éclats de vérité et des étincelles
de justice.