Le rendez-vous de Thessalonique
Luce n'a même pas paru étonnée lorsque je lui ai annoncé mon départ. Je lui ai parlé un jour avant. Elle a protesté, un peu seulement. Avec ce détachement dont j'ai mis si longtemps à comprendre qu'il dissimulait une peur panique d'abandon.
Lors de nos premières rencontres, je la croyais insensible. Comme lorsque je lui avais dit que je pensais que nous n'avions plus rien à faire ensemble. Elle aimait danser la salsa, je détestais nos étés à Ibiza, elle ne lisait pas, elle se taisait quand nous passions des soirées avec des amis, je ne répondais jamais à ses sms ; elle était heureuse quand nous faisions l'amour pendant le film du lundi soir, moi j'avais l'impression de me rapprocher un peu plus de la mort sur le canapé.
Ridicule inventaire de nos différences que j'avais dressé entre nous comme une barrière désespérée.
Cachant sa peur, Luce n'avait rien dit. Elle ne semblait même pas avoir entendu. Elle avait rapproché son visage du mien. Je revois ses yeux louchant. Sa réponse était cette langue léchant mes lèvres. « Alors, oui, c'est fini ! » avait-elle susurré à la seconde où ma bouche piteuse s'était rendue à son irrésistible contrepartie.
Cette fois-ci pourtant, rien ne pouvait plus me retenir. J'avais confié le bureau à mon associé, la voiture était prête. J'allais par la route, comme Themis. Non, plus rien ne me retenait. Surtout pas ce ventre plat qui s'était collé à ma chemise, ni même ces ongles nacrés griffant mon dos.
- Mais qu'est-ce qui te fait croire aussi que Themis ne va pas chercher à te joindre ? disait une bouche mordillant mon oreille. Il n'a rien dit à ses collègues, ni à son frère. C'est peut-être qu'il avait une bonne raison de partir ainsi.
Je n'avais pas envie de m'expliquer plus avant. Themis avait disparu. Personne ne savait où il se trouvait. Ni le journal avec lequel il collaborait ni sa famille. Sa compagne du moment m'avait raccroché au nez, elle n'en avait plus rien à faire de ce tordu.
Fuite ? Exil volontaire ? Qu'est-ce qui pousse le narrateur, Lorenzo, à quitter son épouse, Luce, une vie bien réglée en Suisse, pour la Grèce.
Lorenzo espère tout d'abord rejoindre son ami, Themis, parti enquêter en Turquie sur les passages clandestins des réfugiés albanais. Lorenzo poursuivra cette route, avant de se laisser littéralement fondre dans Thessalonique. Là, il perdra peu à peu tous ses repères, ne verra plus de sens à sa vie et disparaîtra, comme halluciné.
Dans son premier roman, Nicolas Verdan étonne par la qualité des décors, du « dépaysement », et par une troublante mise en scène du lent désespoir d'un homme.