Peut-on parler d'une connaissance poétique ? Et, si c'est le cas, quelle est sa spécificité face aux sciences et aux autres savoirs ? A ces questions se prête tout particulièrement l'œuvre poétique de Jules Supervielle, en ce qu'infatigablement elle se propose, «à travers le monde intérieur, d'aller à la connaissance poétique du monde qui nous entoure».
La démarche cognitive de Supervielle est singulière : ce poète puise son inspiration dans le «soleil d'oubli» qui lui sert de mémoire et de conscience. Que s'agit-il d'oublier ? La trop étroite affirmation, les certitudes accumulées comme autant de leurres. Le flux de l'interrogation ne cesse de nourrir cette enquête métaphysique aux prises avec de vastes questions : l'appréhension de la mort, le rapport à l'univers, à autrui et au moi.
Curieuse connaissance, en effet, que celle qui incite le poète à désapprendre. En installant le lecteur dans le «désert du papier», vierge de toute clôture, à l'image des lieux immenses et vides qui hantent l'imaginaire de Supervielle.
Nous voici bien loin des lectures qui présentent ce poète comme un défenseur, quelque peu rétrograde, du discours ; bien loin des catégories et des nomenclatures, ces instruments dont s'arment toutes les théories. C'est un geste cognitif, et non une somme de connaissances, que l'on cherche à saisir. Un acte verbal, qui commence par reprocher au savoir d'exercer sur son objet une emprise, et, partant, une forme de violence.
Renoncer au savoir : n'est-ce pas là le premier pas, aussi inattendu que nécessaire, vers une connaissance différente de toutes celles dont nous sommes coutumiers ?