Les héros du roman d'espionnage sont-ils les derniers chevaliers
des temps modernes ? Tout en racontant, avec un souci scrupuleux
de l'authenticité professionnelle, une histoire où s'affrontent, dans
une «triplicité» consommée, les services spéciaux français, soviétiques
et américains, et d'où ne sont absents ni le maître-espion, ni
le traître, ni le tueur, ni la séductice, l'auteur du Retournement, loin
de tirer les fils de ses héros, les flagelle, les cajole tour à tour comme
des êtres de chair, et s'intéresse autant à leur salut éternel qu'à
l'anecdote de leur vie et de leur mort.
En même temps, il découvre le parallélisme qui existe entre le
Renseignement et la Littérature, qui sont, l'un et l'autre, affaire de
«romancier». Car le rapport qui s'établit entre l'officier traitant et
son informateur s'apparente étrangement à celui qui unit l'écrivain
et son personnage. D'où la réussite exemplaire d'écrivains de race
comme Graham Greene, qui ont trouvé dans l'espionnage un monde
à la ressemblance intime de leur talent. Il fut un temps où l'espionnage
formait un univers à part, réservé à des démons et à des damnés
d'élection. Les circonstances historiques font que, à l'heure
actuelle, nous y avons presque tous, consciemment ou inconsciemment,
un pied. Et c'est un champ riche de signes et de prodiges, de
masques et d'icônes, à l'image à la fois du monde contemporain et
de l'âme immortelle - peut-être la dernière chance de l'aventure
individuelle (et, dans ce sens seulement, chevaleresque) -, sûrement
le dernier en date des avatars de l'ambiguïté fondamentale de la
liberté. De ce champ, Vladimir Volkoff fait, dans Le Retournement,
la métaphysique. Ou, plus précisément, la psychanalyse et la théologie.
«Le Retournement, a dit Bernard de Fallois, est au roman
d'espionnage ce que Crime et Châtiment est au roman policier.»
Si le Rideau de Fer appartient désormais à l'histoire, Le
Retournement, ce chef-d'oeuvre d'évocation de l'époque, capte
l'essence de cette confrontation angoissante et sourde.
Cette édition du célèbre roman est précédée d'un texte de l'auteur,
Un quart de siècle après, évoquant les circonstances de sa
publication.