La légende familiale contée en ouverture du Rêve du diable est
autant une allégorie biblique qu'un récit rural. Le mariage,
dans les montagnes de Virginie, vers 1830, de Moïse Bailey et Kate
Malone résume à lui seul la destinée d'une famille déchirée entre la
quête de la vérité de Dieu et l'amour du violon, cette voix du diable
qui ricane. La country music, nous montre Lee Smith, explore les
failles intimes, les aspirations déçues, et dissimule, derrière ses airs
enjoués, une inquiétante tristesse. Mais cette musique populaire est
sans doute, également, l'une des manifestations les plus éclatantes
de la formidable vitalité du peuple américain, écartelé depuis ses
origines entre une religiosité sévère, puritaine, et une soif de vie
conduisant souvent à l'autodestruction. Comme l'explique Greil
Marcus dans sa préface spécialement écrite pour l'édition française
de l'ouvrage, «Le Rêve du diable de Lee Smith raconte l'histoire
d'une famille tiraillée entre deux pôles irréconciliables et aussi vrais
l'un que l'autre ; deux vérités abondamment illustrées dans les
récits qui constituent ce roman. La première et souveraine vérité
est que toute musique autre que celle qui sert à glorifier Dieu est la
musique du diable. La seconde vérité, qui ne cesse de voler le
sceptre de la première et de l'envoyer valser par-dessus les montagnes,
est qu'on trouve bien plus de vie dans cette musique que
dans toute la création de Dieu sur cette terre».