Nada : Tant pis, tant mieux, pas triste, pas grave, pagaille, j'y vais pas, mais vous, faut y aller.
Niéto : Où ça, faut qu'on ?
Nada : A l'école, tudieu !
Niéto : Ok d'ac', si tu y vas, j'y vais.
Nitch : Moi pareil, si tu, je.
Nada : Ok, bien vu, d'ac, demain j'y vais, promis.
Niéto : Cramé ?
Nitch : Jury ?
Nada : Croché, promu, juché. Bougé, commis, triché.
Nada, Nitch et Niéto (ensemble, sur l'air des lampions) : Croché, promu, juché. Bougé, commis, triché. Croche, promu, juché. Bougé, commis, triché.
Nada : Sortez d'ici, nabots, vous n'avez pas le droit.
Nitch : Et toi non plus tu n 'as pas.
Niéto : C'est vrai, toi non plus, je rappelle.
Nitch : Tu ne te rappelles pas, tu n 'es pas né, croupion.
Niéto : Même pas vrai, je suis né y a trois minutes, elle me fait des bisous tout partout, je suis son chouchou, son doudou, son boubou, elle est belle.
Nitch : Même pas vrai, elle n 'est pas.
Trois frères abandonnés, livrés à eux-mêmes, affamés, chez eux, dans une ferme sans présence féminine rassurante.
A l'inverse du Petit Poucet, ils n'ont pas de chemin à retrouver. La mère est absente. Ils l'évoquent, l'invoquent, dans leurs jeux, leurs disputes, les paroles de leurs comptines. Où est-elle partie ? Au cimetière ? Sur le trottoir ? Au parloir ? Dans un cirque au Canada ?
Les garçons mettent la table, ne mangent pas, boivent du café, ne vont pas à l'école, se déguisent, chahutent, se bousculent et jappent comme une nichée de chiots.
Les cris, les invectives, les remarques sont rythmées et comme rimées, lancées au gré des assonances, dans la joie d'une férocité verbale. Cette fête des fous, ce carnaval langagier, cette ronde diabolique court à cent à l'heure, cahote, s'arrête, repart en tête-à-queue.
Et quand survient le dénouement, inattendu, on sort de ce rêve éveillé avec le souvenir d'une impressionnante solitude et d'une immense tendresse.